L’essoufflement démocratique

 Pour la onzième fois au mois d’avril 2022, nous élirons nous mêmes, au suffrage universel, notre président de la République. Posons crûment la question: qui y croit encore?

Bien sûr, nous irons voter, un peu plus ou un peu moins, ce n’est pas l’important. Ce qui a disparu c’est l’espoir, la confiance, le sentiment que les difficultés communes seront allégées, et l’angoisse qu’elles procurent diminuée, par l’action de ceux que le vote portera au pouvoir.

Les problèmes de la société française sont connus. Ils sont anciens. Personne ne parvient à les régler. La souffrance des services publics nous afflige, le poids des impôts nous écrase. Tant d’impôts, et pourtant des déficits en croissance, une dette qui enfle. Il y a là une contradiction qui prouve la mauvaise gestion des deniers publics. A ceci, aussi vieux que l’Etat en France, s’ajoutent le défi climatique, la menace terroriste et, petit dernier introduit par la démagogie contemporaine, une trouille galopante de l’islam dont nous semblons découvrir la présence sur notre vieille terre chrétienne.

Nous voici donc perclus d’angoisses, assailli en plus par un sentiment de solitude tant l’impression domine que ceux qui sollicitent nos suffrages seront, comme leurs prédécesseurs, incapables d’apporter des réponses satisfaisantes aux maux qui nous submergent. C’est ici que nous doutons de la démocratie, sans croire pour autant, encore?, à une solution différente qui serait une forme, ou une variante, d’un quelconque autoritarisme.

Comment en sommes nous arrivés à ce point de désespoir collectif? Pour l’expliquer, il faut examiner des causes proches, et d’autres plus lointaines.

Les chocs pétroliers des années soixante-dix représentent une césure que notre mémoire a gommé et dont pourtant notre esprit conserve la douleur. En triplant puis quadruplant le prix de la matière première qu’ils nous vendaient, les pays producteurs ont bouleversé l’équilibre des économies occidentales. Des sommes colossales ont été transférées à leurs profits. Et c’est pour les récupérer que les dirigeants des démocraties ont imaginé la mondialisation des échanges. Ronald Reagan et Margareth Thatcher ont initié ce mouvement qui depuis n’a jamais cessé, et s’est toujours amplifié.

Notre esprit latin s’est mal adapté à cette domination intellectuelle anglo-saxonne. Puisque le commerce devenait la pierre angulaire du monde nouveau, la question de la création des richesses aurait dû constituer une priorité de l’action. Enfants de Louis XIV, de Napoléon et de Charles de Gaulle, nous avons été incapables d’ajuster notre réflexion à cette nécessité. Nous avons au contraire résonné à partir de l’Etat, de ses dépenses pour maintenir notre rang, notre niveau de vie, notre prestige, et enfin de son soutien aux initiatives économiques.

De ces temps date notre défaite permanente face à l’économie allemande. Les dirigeants de ce pays pourtant nous ont tendu la main. En acceptant des réévaluations successives du mark dans les années quatre-vingts, ils ont permis à notre vielle nation de limiter les effets corrosifs d’une inflation appauvrissante. En accédant dans la décennie suivante à l’idée du mariage entre le franc et le mark, ils nous ont entretenu dans l’illusion de la grandeur et de l’influence. Ont-ils été payés en retour? Non, en rien. Notre indiscipline chronique a détruit les effets de leur soutien. Elle menace désormais l’équilibre de la zone euro.

Durant cette longue période, quarante années de notre vie publique, nous n’avons trouvé aucun dirigeant capable de nous expliquer les enjeux de la période. Tous, au contraire, ont entretenu le pays dans une psychologie rétrograde. Après les deux chocs pétroliers évoqués, la France a porté au pouvoir un socialiste nanti d’un programme antédiluvien de nationalisations et de dépenses à perte de l’argent public. Une fois les déficits creusés et un retard irrémédiable enregistré, nous avons envoyé à l’Elysée un bonimenteur qui s’engageait à réduire « les fractures sociales ». Il n’a, lui aussi, fait que creuser les trous existants. Est venue ensuite la promesse d’une « rupture » - avec qui? avec quoi? - qui ne s’est jamais produite, ce qui a accru la démoralisation nationale. Enfin, dernière marche dans la dégradation, un fier-à-bras s’en est pris à la finance pour accéder au pouvoir. Ignorait-il que sans le savoir-faire de la finance, cette transformation de l’épargne mondiale en prêts aux nations, jamais la France ne serait parvenue à payer ses fonctionnaires durant les dernières décennies? Enfin un homme jeune s’est présenté. La virginité ici possède sa séduction propre. Faute de maturité et de réflexion, titulaire d’un pouvoir conquis sur une pulsion, l’élu n’a rien changé de fondamental ou de décisif, de sorte que le pays baigne aujourd’hui comme hier dans un malaise essentiellement nourri par l’incompréhension du monde contemporain.

Finalement, avec le recul des siècles, la France s’est révélée un grand pays dans les guerres et les batailles. Pour préparer celles ci et mener celles là, il fallait une collaboration de tous au but commun. Une certaine mystique du pouvoir, le sentiment d’être un peuple distingué parmi les peuples, nous a fait croire à l’existence d’un roman national. Notre conviction de pouvoir encore en écrire des chapitres se manifeste dans l’actuelle campagne électorale. Quand comprendrons-nous que la paix durable exige de nous d’autres réflexes, un autre regard, d’autres chemins pour la réflexion? Soixante-dix ans sont passés depuis la fin du second conflit mondial. Et demeure intact notre émerveillement mortifère pour la « France éternelle ».

Ce trait de nos mentalités se couple avec un travers de notre culture. D’aussi loin que nous pouvons le comprendre, nous réclamons un pouvoir entreprenant, et nous nous méfions de ses entreprises. Tous les régimes ont expérimenté ce dilemme. Les Bourbons y ont laissé leur tête. Les empires qui furent leur successeur se sont évanouis dans la poussière. Quand la République s’est présentée, accouchée par une voix de majorité dans l’Assemblée de 1875, l’instabilité s’est installée.

La Troisième a duré 65 ans, jusqu’en 1940. Elle a épuisé 99 présidents du Conseil. Record peu enviable du monde. La Quatrième, douze ans d’existence (1946-1958), en a rincé dix-huit. Charles de Gaulle, notre dernière immense figure nationale, a cru trouver la solution en instaurant la Cinquième, avec son président de la République élu au suffrage universel, manière de roi laïc, synthèse époustouflante de notre histoire. Pourtant, depuis 1965, date de la première élection populaire à l’Elysée, aucun président sortant n’a été réélu sur son action. Seule, la circonstance tordue de la cohabitation a permis un prolongement du bail pour celui qui se trouvait au pouvoir.

Le constat est terrible: au niveau de l’Etat, si important dans nos vies, la politique en France ne fabrique que de la méfiance. Comme nous sommes éloignés sur ce point aussi de nos voisins allemands, ce rameau pourtant des Carolingiens que nous fûmes ensemble: Korand Adenaeur et Helmut Khol ont gouverné quinze ans de suite; Angela Merkel a été réélu trois fois.

L’élection 2022 se présente sous les pires auspices. Chacun des candidats est réduit à une portion très minoritaire de l’électorat. Aucun prétendant ne peut exciper d’une alliance avec l’un de ses concurrents en vue du second tour. Le socle du nouveau pouvoir sera tellement restreint que sa légitimité sera questionnée, sans répit, et sans aménité. C’est avec cette faiblesse qu’il devra se confronter aux immenses défis du temps, dont celui spécifique de la planète que notre activité détruit.

Au fond de la conscience de chaque citoyen, c’est l’incrédulité qui domine. Nous ne voyons ni individu, ni forces, susceptibles d’affronter la tempête. Nous n’imaginons pas l’aplanissement des difficultés, leur résorption par l’action politique. Nous voterons, bien sûr. Mais la joie qu’enfante l’espoir a déserté la scène. Quelques démagogues la mime, assurant que le retour à Louis XIV, ou pourquoi pas à Saint Louis, le roi des croisades, constitue la solution la plus appropriée. C’est pourtant cette chanson du retour en arrière qui nous assassine à petit feu, depuis si longtemps.

Une dernière réflexion pour dissiper les malentendus. Des marchands de bonheur attaquent les institutions de la Vème République en assurant qu’une VIème enfanterait le paradis sur terre. Ce fétichisme des textes résulte d’un désarroi profond des esprits. Quand on ne sait plus quoi faire, on change la règle du jeu. L’aveu parfait de l’impuissance.

Car c’est au jeu lui même qu’il faut se confronter. Comment produire suffisamment de richesses, ici et maintenant, pour continuer d’alimenter le système de solidarité face aux dégâts de la maladie et de la vieillesse? Comment accroître la production des biens pour améliorer les rémunérations des ouvriers et des employés? Comment baisser les dépenses publiques pour enfin baisser les impôts qui empêchent des millions de Français de boucler leurs fins de mois?

Si le romantisme est une bénédiction de l’esprit, il s’avère, appliqué à la politique, un poison.

Commentaires

  1. Zemmour est le seul à susciter de l'espoir, et du désespoir ...

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  2. Constat aussi vrai que triste, quand existera t il de la place (médiatique et intellectuelle) pour une politique des solutions à ces problèmes anciens. A ce jour la scène politique est un théâtre de Guignol caricatural et superficiel, ne nous empêchant pas collectivement de glisser encore un peu plus dans le déclin. Il est difficile de garder espoir tant l'inertie et les dynamiques sont tournées du mauvais côté. Les media joueront peut être un rôle s'ils parviennent à se réinventer politiquement et à trouver les moyens pour mettre objectivement en lumière des alternatives à la Farce présidentielle que l'on nous sert depuis des années a chaque élection.

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