Violences faites aux femmes: monsieur le président, changez de discours!

Sur la question des violences sexuelles subies par les femmes, Emmanuel Macron accumule les maladresses et accroît les souffrances. Cette attitude paraît dévoiler - c’est une hypothèse - une incompréhension des enjeux et des douleurs.  

Mercredi 1er décembre.
Dans ce lieu symbolique entre tous du Conseil des ministres, le président de la République s’exprime sur les violences faites aux femmes. Son propos fait suite au reportage d’Envoyé spécial, diffusé le 25 novembre, sur France 2. Plusieurs femmes racontent à cette occasion le comportement violent de Nicolas Hulot, ex-ministre du gouvernement d’Edouard Philippe, à leur égard. Voici, tels qu’ils ont été officiellement rapportés, les mots employés par le président de la République:

« La position du gouvernement sur ce sujet est constante. Nous n’accepterons jamais une société de l’opacité ou de la complaisance. Et nous ne voulons pas non plus d’une société de l’Inquisition. Alors l’enjeu, c’est de faciliter et d’accompagner la libération de la parole, le recueil des plaintes, l’efficacité de la justice. »

L’évocation de l’ « inquisition » a été mal reçue par les femmes qui se sont déclarées victimes de violences sexuelles, et notamment celles qui ont dénoncé les agissements du journaliste Patrick Poivre d’Arvor. Dans une lettre ouverte au président de la République, publiée aujourd’hui (8 décembre) par le journal Le Monde, elles écrivent ceci:

« Quel est le rapport entre nos récits et l’inquisition? De nos intimités exposées naîtrait le risque de replonger la France dans une des périodes les plus sombres et les plus unanimement détestées de l’histoire occidentale? (…) Nos récits porteraient en germe ces tribunaux de l’horreur et de l’injustice. Raconter nos histoires tristes serait nuisible au point qu’il vous faut affirmer votre volonté d’éviter ce très grave danger. »

La réaction met en lumière le caractère particulier du crime qu’est le viol.

Oui, les femmes qui s’expriment le font dans la presse et non pas devant les tribunaux. Pourquoi? Parce qu’elles n’ont pas eu la force de le faire avant que la prescription légale des faits ne rende toute plainte inutile. La protection de la mémoire traumatique, la difficulté à surmonter le dégoût ou la peur, la volonté de tourner la page par le silence mais l’impossibilité de le faire parce que la douleur ronge chaque jour l’esprit, expliquent la parole tardive et justifient la parole publique. 

Ici, la presse est utile aux victimes. Elle est le lieu ultime où elles peuvent tenter d’alléger leur fardeau. Le procédé d’ailleurs n’est pas inquisitorial. Les personnes mises en causes peuvent répondre. Et elles le font. Mais oui, le procédé est brutal. Equivaut-il pour autant à une inquisition? Toute personne qui répondra « oui » à cette question condamnera au silence les femmes souffrantes. Une manière d’ajouter de la peine à la peine dont chacun doit rendre compte à sa conscience. 

Hélas, en matière de maladresse, le président de la République est un récidiviste.

Quand il a appris, en février 2018, que l’un de ses principaux ministres avaient été l’objet par le passé d’une plainte pour viol, il a fait dire par un de ses porte-parole qu’il prenait cette information avec une « sérénité de marbre ». Et pour mieux faire passer cette indifférence froide et sinistre, il a demandé à sa ministre chargée de la lutte contre les violences sexuelles, Marlène Schiappa, de s’afficher aux côtés du ministre accusé sur les bancs du gouvernement de l’Assemblée nationale, puis de graver dans l’écrit son soutien à un homme réputé « charmant ».

La répétition de ces erreurs dans de telles circonstances vaut inhumanité. Que la dénonciation publique pose des problèmes est une évidence. La présomption d’innocence des hommes mis en cause est évidemment minorée par la parole qui se libère. En outre, même quand elle intervient au moyen d’une enquête préliminaire par exemple, la justice éprouve beaucoup de difficultés pour établir les faits, faute le plus souvent de preuves et de témoins dans des scènes intimes par essence.

Ce crime particulier que représente le viol nous place face à une situation sur laquelle nous avons peu réfléchi. Comment rendre la justice, comment être juste, comment éviter les condamnations infondées, comment alléger la souffrance, quand les principes et les procédures usuelles ne sont pas efficientes, ou se trouvent en échec?

Ces difficultés sont immenses. Elles n’expliquent ni n’excusent pourtant les expressions employées par celui qui se trouve aujourd’hui au sommet de l’Etat. Évoquer du « marbre », ou convoquer l’ « inquisition » , c’est de fait déserter le camp de la souffrance et n’adresser que des signaux négatifs et méprisants à celles et ceux qui espèrent un changement des mentalités, des pratiques, de la culture. 

Un président de la République ne peut manquer à ce devoir essentiel. Emmanuel Macron doit retirer les mots qui déshonorent la charge. Il ne sera jamais trop tard pour le faire. Et en le faisant, le président se hissera au niveau où il doit être.




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