La France en Algérie, notre mémoire honteuse

C’est un cas d’école triste et désolant.

Au centre du récit se trouve le président de la République. Il devrait être le gardien de notre mémoire, mais il la déconstruit en racontant mal l’histoire.

Au cœur du récit, se trouve l’attitude de la France et des Français en Algérie entre 1830 et 1962, notre honte nationale, cette période de colonisation  d’un peuple que nous refusons de regarder pour ce qu’elle est: la plus grande erreur de notre histoire. Honte nationale? Oui, c’est exactement cela. Mais nous ne la ressentons pas, protégés que nous sommes par l’ignorance.

Enfin, en surplomb du récit se trouve une résistance à ce que les sots appellent la « cancel culture ». « Il ne faut pas réécrire l’histoire », disent-ils. Très juste. C’est l’écrire qui est nécessaire, ce qui fait une sacré différence.

Mercredi 26 janvier 2022, à l’Elysée, le président de la République reçoit des représentant de ceux que l’on appelle aujourd’hui les « rapatriés d’Algérie ». Il s’agit de Français qui ont dû quitter précipitamment l’Algérie au printemps et surtout à l’été 1962, après la signature des accords d’Evian, 19 mars 1962, qui accordaient son indépendance à l’Algérie, pays occupé par la France depuis le 5 juillet 1830.

La cérémonie qui s’est tenue à l’Elysée, visible sur le site de la présidence de la République, est émouvante. Une femme, Nicole Rigaud, raconte l’attentat dont elle a été victime, le 30 septembre 1956, au Milk-Bar d’Alger. Elle avait dix ans. Elle a perdu une jambe. Sa grand-mère, qui lui offrait une glace, « la dernière de l’année », dit Nicole Guiraud, est morte. Des décennies plus tard, elle parle sans haine de ce drame. Son humanité touche au cœur.

Le FLN (Front de libération nationale) a commis cet attentat. Il en a commis beaucoup d’autres, avant et après. Les Algériens qui ont succédé aux militants de cette époque n’ont jamais regretté les innocences qu’ils ont foudroyées. Lors de son discours, Emmanuel Macron a évoqué le massacre d’Oran, survenu le 5 juillet 1962, jour officiel de l’indépendance. Au mépris des accords signés à Evian, des Algériens ont assassinés des Européens qui pensaient pouvoir poursuivre une vie pacifique dans ce pays devenu indépendant. A l’Elysée, ce 26 janvier 2022, le président de la République a suggéré que ce « massacre soit reconnu » par les autorités algériennes d’aujourd’hui, afin d’aider à la pacification des mémoires. La demande, fondée, ne sera pas satisfaite. Le pouvoir algérien qui spolie son peuple depuis soixante ans cultive comme seule légitimité la lutte que leurs aînés ont mené contre la France. Incapable de se remettre en question et d’affronter le suffrage universel, il n’est pas prêt à abandonner la mystique en carton qui lui sert depuis tout ce temps de bouclier.

L’autre drame mentionné par Emmanuel Macron lors de son discours pose, lui, un lourd problème: celui de la mémoire nationale, de sa fabrication, de sa transmission. Nous falsifions l’histoire, à force de ne pas la regarder telle qu’elle s’est déroulée. Et pourquoi agissons-nous ainsi? Parce que nous vivons sous l’emprise d’une frange nationaliste, pourtant minoritaire, qui dicte sa loi intellectuelle dans le débat public.

Dans son discours du 26 janvier à l’Elysée, le président est revenu sur le drame de la Rue d’Isly, survenu le 26 mars 1962. Ce jour là, l’armée française a tiré sur des Français qui, constitués en manifestation, voulaient se rendre dans le quartier de Bab-El-Oued, au cœur d’Alger. 50, 80 morts, aucun chiffre définitif ne permet de mesurer l’horreur. Emmanuel Macron a fustigé le « massacre impardonnable », causé par des « soldats français déployés à contre-emploi, mal commandés, et qui ont tiré sur des Français. »

Bien sûr, le constat est épouvantable. Mais en ne restituant pas le contexte, l’enchaînement des faits qui aboutit à la fusillade, le président de la République confère à l’atrocité un sens qui n’est pas le sien.

Pourquoi une foule d’Européens d’Algérie veut-elle se rendre, cet après-midi là, dans le quartier de Bab-el-Oued? Question centrale, réponse simple. Elle veut porter aide et secours aux activistes de l’OAS - Organisation de l’armée secrète, hostile aux accords d’Evian signés quelques jours plus tôt. Pourquoi ceux là sont-ils réfugiés à Bab-el-Oued? Là encore, réponse simple. A seize heures le 20 mars, six jours plus tôt, au lendemain de l’accord sur l’indépendance du pays occupé, l’OAS a fait tirer quatre obus sur la population musulmane qui se trouvait place du Cheval, à Alger. Un carnage. Des morts. Des blessés. Des civils, des femmes, des enfants.

Les obus ont été tirés depuis une terrasse du quartier de Bab-el-Oued. L’armée boucle le secteur. Elle commence à fouiller, maison par maison. L’OAS prévient: ses membres tueront ceux qui se lancent à leurs trousses. La parole sera tenue.

Le 22 mars, quinze gendarmes tombent sous les balles de ces Français qui n’imaginent des Arabes libres de leur destin. Le lendemain, 23 mars, ce sont sept appelés du contingent qui meurent des agissements criminels de l’OAS. La stupéfaction est absolue dans la métropole. La Une du Figaro publié le 24 mars résume ce sentiment en une phrase:

« Alger: les commandos OAS tirent sur les soldats du contingent »

L’armée, meurtrie, défiée, menacée, redoute de ne plus maîtriser la situation. C’est dans ce contexte que l’OAS lance un mot d’ordre de grève générale, ainsi qu’un appel à la population européenne. Il s’agit de faire entrer des civils, des femmes et des enfants dans le quartier de Bab-el-Oued pour permettre aux assassins de s’échapper, et de continuer ailleurs leur œuvre mortifère.

Le Gouverneur général sur place tente de dissuader les populations européennes de s’aventurer dans cette folie. Les manifestations sont interdites, ce 26 mars 1962. Parce que le péril est immense. Mais l’appel à la sagesse est vain. Dès le début de l’après-midi, une foule se presse rue d’Isly, à côté de la Grande Poste d’Alger. Bab-el-Oued est là, tout proche. Entre les deux, l’armée, qui s’interpose.

Un coup de feu par de ses rangs. Un ordre a-t-il été donné? On l’ignore, aujourd’hui encore. Comme demeure méconnu le premier tireur qui déclenche une longue fusillade. La panique. La mort. La désolation. Voilà ce que fut le drame de la rue d’Isly.

Du premier jour de sa présence française en Algérie, le 5 juillet 1830, la France a répandu la souffrance sur cette terre, elle a organisé l’injustice. Nous refusons aujourd’hui encore d’en convenir. Nous chassons systématiquement de notre mémoire tout ce qui pourrait le suggérer.

En évoquant le massacre du 26 mars 1962 sans restituer les faits qui l’ont fabriqué, le président exonère de sa responsabilité l’OAS criminelle et aussi les Français qui soutenaient son action. Implicitement, mais involontairement, cela revient à regretter l’indépendance de l’Algérie.

En arpentant ce chemin, nous entretenons les blessures. L’apaisement des mémoires, nécessaire, souhaitable, utile pour la société française d’aujourd’hui, exige d’autres gestes. Pour les accomplir, il faut que notre mémoire soit nette, nourrie de la vérité historique. La cérémonie du 26 janvier 2022 qui s’est déroulée à l’Elysée montre à quel point nous sommes éloignés de l’objectif que nous prétendons atteindre.


Commentaires

  1. Le FLN mitraillait des bébés dans des berceaux et coupaient les seins des femmes qu'ils pendaient à des crochets.

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  2. "Du premier jour de sa présence française en Algérie, le 5 juillet 1830, la France a répandu la souffrance sur cette terre, elle a organisé l’injustice"

    et voila comment en une phrase vous passer du journalisme au militantisme ..sortez du prisme Storassien pour interpréter des faits

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